Réforme du divorce: Pourquoi les avocats grognent
Magazine L'express, 19/12/2007
Justice
Louise PothierLe gouvernement a évoqué une simplification de la procédure de divorce par consentement mutuel, qui pourrait être assurée par un notaire. Mécontents, les avocats sont en grève mercredi. Ils craignent une baisse de leurs revenus. Le point en 5 questions.
Que dit cette réforme?
Dans le cadre de la réflexion sur la réforme de l'Etat, le gouvernement a évoqué la possibilité d'une révision de la procédure de divorce par consentement mutuel, en la retirant de la compétence du juge et en la confiant aux notaires.
Cette procédure concernerait uniquement les situations pour lesquelles "les époux sont d'accord sur l'ensemble des conditions du divorce", a précisé le ministre des Comptes publics, Eric Woerth.
Il n'existe actuellement pas de texte législatif sur ce projet. Il fera l'objet d'un débat au sein d'une commission, qui sera créée en fin de semaine et composée de magistrats, d'avocats et de notaires.
Pourquoi cette réforme?
Eric Woerth affirme que "pour les usagers, c'est une procédure plus simple, plus rapide et moins traumatisante. Pour la justice, c'est plus de temps à consacrer aux affaires les plus complexes". Le simple passage devant le notaire exclut l'intervention d'un juge et donc d'un avocat, même si le recours à l'avocat sera toujours possible, précise le ministre des Comptes publics. La mesure permettrait donc avant tout de désengorger des tribunaux saturés.
Certaines associations soulignent que le projet peut avoir un effet bénéfique sur la régulation des conflits puisque la justice aurait plus de temps pour traiter des affaires qui concernent des situations, notamment parentales, plus compliquées. Et ce même si on pourrait associer cette mesure à "un moyen détourné de privatiser la justice", souligne l'association Justice papa parité parentale.
Une autre association, SOS Papa, salue quant à elle la tentative de pacification induite par cette mesure. En effet, elle fait valoir que le notaire n'est payé que s'il trouve un accord, alors que le système judiciaire doit entériner un désaccord pour statuer sur les deux points de vue.
Le coût du divorce va-t-il baisser?
Un divorce par consentement mutuel devant un avocat peut actuellement coûter entre 2000€ et 3000€, même si certains sites Internet proposent des divorces à des prix défiant toute concurrence (800€ à 900€). On ne peut aujourd'hui évaluer les frais qu'exigerait un notaire.
Alors, s'il est impossible d'anticiper l'économie pour les familles, il est certain que les avocats souffriraient d'un sérieux manque à gagner, puisque le divorce représenterait entre 10% et 30% du chiffre d'affaires d'un cabinet d'avocats spécialisé, estime François Fondard, président de l'Union des associations familiales (Unaf).
Quels dangers pour les avocats?
Les avocats ont appelé à la grève mercredi pour exprimer leur mécontentement quant à ce projet.
Le divorce par consentement mutuel représenterait aujourd'hui environ 60% de l'ensemble des divorces. En 2005, la loi a simplifié le régime procédural de ce type de divorce en réduisant, de deux à un, le nombre de passages devant le juge et en instaurant l'avocat unique pour les deux conjoints. Le corps des avocats avait donc déjà souffert de cette mesure qui avait considérablement réduit leurs honoraires.
François Fondard affirme également que, du fait de la simplicité de la procédure, les justiciables choisissent de plus en plus le consentement mutuel, afin de réduire à la fois le coût et la durée de la procédure de divorce.
Les avocats peuvent donc craindre, selon lui, que le nombre de divorces par consentement mutuel augmente encore de manière notable si la procédure est encore simplifiée. Et ceci à leurs dépens.
Cette crainte est-elle vraiment justifiée?
Rachida Dati, prudente, a déclaré que cette mesure, si elle voyait le jour, ne concernerait que les situations dans lesquelles il n'y a pas d'intérêt patrimonial et pas de problème lié aux enfants.
Cependant, le président de l'Unaf rappelle que sur l'ensemble des divorces, un nombre de cas dérisoire ne concernent ni enfants, ni prestations compensatoires ou alimentaires. En effet, parmi les divorces par consentement mutuel, très peu sont véritablement consentis par les deux époux sur un pied d'égalité, de manière pacifique et naturelle.
Si le gouvernement s'en tient à cette limite, incontournable pour la grande majorité des associations de défense de justiciables, la loi ne concernerait qu'un petit nombre de divorces. "Est-il utile de légiférer?" se demande alors François Fondard. En effet, il est inenvisageable de confier la responsabilité d'un jugement sur la garde des enfants ou sur l'évaluation d'une prestation compensatoire à un notaire, "incompétent pour en décider", selon lui. "Le conjoint le plus faible risquerait d'en pâtir puisque c'est au juge de garantir l'équilibre", explique François Fondard.